La parole à... Anne Pinto, restaurateur de vitraux

Restaurer des vitraux est un travail minutieux où l’on vise l’excellence avec humilité - qu’il s’agisse de ceux des églises parisiennes (en ce moment Saint Merri, Saint Paul Saint Louis, Saint Eugène), de ceux des cathédrales d’Auch et du Havre, ou encore de ceux de toutes les petites églises d’Aquitaine qui nous occupent régulièrement. Après la dépose des vitraux, toute notre équipe se relaye au chevet de ces vitraux : André Morteau, qui intervient sur le plomb, dégage avec dextérité les fragments de verre brisés sans endommager le plomb qui sera conservé ; puis moi-même, Anne Pinto, je nettoie, assemble et colle avec minutie les fragments des pièces brisées – jusqu’à 25 fragments pour restituer une seule pièce de verre dans son intégralité d’origine, aidée de Mathilde Dupeyrat. C’est ensuite Jacques Escriva, le peintre, qui prend le relais, comblant les lacunes avec de minuscules pièces de verre qu’il taille et peint en accord avec l’original, puis retouchant les lignes de collage. Un seul panneau de vitrail peut nous demander plus de 50 heures de travail, sachant qu’une verrière du 16e siècle de l’église Saint Merri est constituée d’une trentaine de panneaux. Et n’oublions pas, dans l’équipe, Eric Fernandez et Marc Périgne qui interviennent pour traiter la serrurerie qui maintient tous ces panneaux, où assembler les grillages de protection placés à l’extérieur.

 

C’est un travail passion, une vocation, qui me mène de l’église Saint Merri - où les vitraux du 16e siècle ont été réalisés notamment par Chastelain, peintre verrier parisien auquel je voue une admiration sans borgne, et qui me tient particulièrement à cœur car la première restauration prestigieuse, qui me fut confiée, fut celle du vitrail de Salomon à l’église parisienne Saint Gervais Saint Protais, vitrail réalisé par ce même peintre -, à l’église Saint Paul Saint Louis, dont la première pierre a été posée par le roi Louis XIII, et la 1ère messe célébrée par le cardinal Richelieu. Avec le sentiment d’appartenir à cette « corporation » informelle des ouvriers de l’église, qui reviennent au fil des siècles prendre soin de ce patrimoine spirituel, descendant de Bélacéel et Oholiab dont l’Ancien Testament  nous apprend que c’est à eux que Moise confia le soin de bâtir sur l’ordre de Dieu, l’Arche d’Alliance dont chaque église perpétue le souvenir jusqu’à nos jours.

 

Et l’émotion nous étreint lorsque l’on traverse ces lieux où nos prédécesseurs ont laissé bien des traces : nous serons quelques-uns à voir ces signatures, dont certaines datent du 17e siècle, sur les murs lorsque l’on monte dans les hauteurs de Saint Paul, d’escaliers en coursives, pour atteindre la rosace. Mais nous serons que quelques privilégiés à découvrir ces inscriptions que nos prédécesseurs nous ont laissé au fil des siècles sur les verres de ces vitraux : sur une verrière de Saint Merri, la trace du doigt du peintre du 16e siècle qui a tenu sa pièce avec des doigts imprégnés de grisaille,  la peinture sur verre ; puis ailleurs, la signature gravée sur un verre de ces mêmes vitraux, laissée par l’un des 1er restaurateurs effectuant un entretien vraisemblablement au 17e siècle, et dont j’apprends qu’il s’appelait « Dupont » (!) ; ou encore les inscriptions laissées au 19e siècle par le peintre restaurateur Prosper Lafaye, notant chacune de ses pièces de complément venant boucher de nombreuses lacunes de verre, du nom qu’il attribue à chaque scène « soldat », « saint esprit » et je note que ce dernier, qui signe aussi ses pièces de ses initiales entrelacées « PL », est un lettré qui maîtrise l’orthographe. Finalement mon quotidien de restauratrice du 21e siècle me fait vivre intimement aux côtés de tous ceux qui m’ont précédée...